Une petite histoire de la recherche sur la moelle épinière
Par le passé, les personnes atteintes d'une lésion de la moelle épinière n’avaient aucun espoir de traitement. Aujourd’hui, certains patients retrouvent des capacités motrices grâce à la recherche. Voici l’historique des événements et des idées qui ont jalonné l’histoire de la recherche sur la moelle épinière.
Un sujet méconnu
2500 avant J.C. : la première trace
La première mention écrite d’une paraplégie a été découverte dans un papyrus Edwin Smith. Il s’agit là du plus ancien dossier médical au monde, dans lequel est clairement indiqué un constat qui a longtemps tenu : " C’est une maladie incurable."
500-150 av. J.C. : première définition d’une lésion de la moelle épinière
Considéré comme le « père de la médecine », le médecin grec Hippocrate a notamment laissé derrière lui la première description médicale de la paraplégie chronique et mis au point un banc d’étirement pour tenter de soigner ce mal. Plusieurs siècles plus tard, d’autres docteurs grecs, comme Aretaeus et Galen, définissent différents niveaux de paraplégie.
Les débuts de la recherche
1890 : un premier modèle expérimental
Pour mieux étudier les lésions médullaires (un autre terme pour définir une lésion au niveau de la moelle épinière), le pathologiste allemand Hans Schmaus établit un premier modèle expérimental chez le lapin.
1911 : un modèle amélioré
Le neurologue américain Alfred Reginald Allen perfectionne le modèle expérimental de la paraplégie. C’est un pas essentiel dans la recherche et un modèle toujours utilisé aujourd'hui.
1928 : une première lueur
Le neuroscientifique espagnol Santiago Ramón y Cajal, l'un des pères fondateurs des neurosciences modernes, écrit ceci : " Chez l'adulte, les nerfs sont fixes, rien ne semble pouvoir se régénérer. " Mais il est également le premier à constater à quel point les nerfs sont endommagés. Cependant, les cellules (neurones) tentent tout de même de se régénérer, en vain.
De meilleurs soins et de l’espoir
1930 : une réhabilitation
Le médecin américain Donald Munro met en place un petit département à Boston pour traiter les lésions de la colonne vertébrale. Il introduit le concept de rééducation - le seul traitement fonctionnel à ce jour.
1945 : de meilleurs soins
Grâce à Ludwig Guttmann, neurologue britannique né en Allemagne, l'espérance et la qualité de vie suite à une lésion de la moelle épinière augmentent. Ce dernier développe des méthodes de traitement. Il est considéré par beaucoup comme le fondateur de la rééducation moderne des paraplégiques.
1968 : première récupération fonctionnelle chez l'animal
Le neuro-anesthésistes américain Maurice Albin et le neurochirurgien Robert White parviennent à refroidir le tissu de la moelle épinière chez l’animal en utilisant l'hypothermie, une technique qui permet d’améliorer la récupération fonctionnelle. Cette approche thérapeutique a ensuite été reprise pour faire l’objet d’une étude clinique.
Le dogme de la « paraplégie incurable » est remis en cause
1981 : les axones peuvent se régénérer
Le docteur Albert Aguayo et le neuroscientifique Sam David font avancer la recherche. Les deux Canadiens prouvent que les axones (extensions d'une cellule nerveuse) peuvent également se régénérer dans le système nerveux central s’il dispose d’un environnement favorable. Chez le rat, ils transplantent une partie du nerf sciatique (nerf de la jambe) dans la moelle épinière. Les axones du système nerveux central de l’animal parviennent à se développer dans la greffe. Cette découverte fait sensation !
Explorer de nouvelles approches
1990 : premier soin sur un traumatisme de la moelle épinière
Les neuroscientifiques suisses Lisa Schnell et Martin Schwab réussissent à favoriser la croissance des axones dans un modèle de lésion de la moelle épinière chez le rat. Avec un anticorps, ils parviennent à lever « l'inhibition » et à soigner l’animal. Ces travaux ont eu une grande influence sur la recherche et ont forcé nombre de scientifiques et de sponsors à se pencher sur le problème.
1990 : la cicatrice gliale
Pour la première fois, le neuroscientifique américain Jerry Silver explique comment la cicatrice gliale (engendrée suite au traumatisme de rupture de la moelle épinière) empêche les nerfs de repousser.
1991 : un espoir pour la paraplégie chronique
Le neuroscientifique américain John Houlé montre que les axones continuent à se régénérer longtemps après une lésion de la moelle épinière. C’est une preuve que la régénération est possible, y compris pour les patients souffrant de lésions chroniques.
1995 : le premier hydrogel
Patrick Aebischer, médecin et neuroscientifique Suisse, fabrique le premier biomatériau. Il développe un hydrogel dans lequel les neurones peuvent se développer.
1998 : la première électrostimulation
Le médecin et neuroscientifique Slovène Milan Dimitrijevic démontre, lors de travaux en Autriche, qu'une stimulation électrique de la moelle épinière peut déclencher la marche chez les personnes paralysées.
2001 : l’inhibiteur de croissance axonale
Stephen Strittmatter, médecin et neurobiologiste américain, découvre le récepteur Nogo qui inhibe la croissance des axones. Une étude clinique basée sur ces résultats est actuellement en préparation.
Nouvelles conclusions
2002 : La cicatrice gliale atténuée
Les neuroscientifiques britanniques James Fawcett et Stephen McMahon montrent que la cicatrice gliale (voir 1990) peut être atténuée en utilisant une enzyme spéciale (la chondroïtinase ABC).
2004 : la plasticité neuronale
Martin Schwab décrit la plasticité de la paraplégie, un terme qui décrit comment les terminaisons nerveuses forment de nouveaux liens. Elles utilisent pour cela des circuits préexistants, toujours intacts après la blessure.
2005 : les cellules souches
Pour la première fois, des cellules souches sont utilisées dans les lésions de la moelle épinière. Le neuroscientifique américain Hans Keirstead démontre dans une expérience sur des rats que les cellules souches humaines peuvent reconstituer la gaine de myéline manquante et ainsi restaurer les fonctions motrices.
2007 : la paralysie immunitaire
Le médecin et neuroscientifique allemand Jan Schwab découvre que la paraplégie affecte le système immunitaire et rend le rétablissement difficile.
2008 : le frein moléculaire
La neuroscientifique Zhigang He, de la faculté de médecine de Harvard, est en mesure de renforcer la capacité de régénération nerveuse en désactivant un frein moléculaire pour favoriser la régénération de l'axone (PTEN).
Vers l’humain
2010 : première étude sur la thérapie par cellules souches embryonnaires
Un essai clinique teste les effets des cellules souches embryonnaires sur les lésions médicales subaiguës. En 2015, cette approche sera réexaminée dans une nouvelle étude.
2010 : enlever le frein
Sur la base des découvertes de 2008, Zhigang He réussit pour la première fois à régénérer les axones cortico-spinaux. Celles-ci sont essentielles pour le contrôle moteur.
2012 : neurotechnologie
Le neuroscientifique français Grégoire Courtine présente une technologie qui permet aux rats de marcher malgré une paraplégie sévère. Il utilise une neuroprothèse électrochimique et une formation en rééducation assistée par robot.
2015 : la pression compte
Le neurochirurgien Marios Papadopoulos et la neuroscientifique Samira Saadoun du St George's University Hospital de Londres, étudient la pression exercée sur la moelle épinière des patients récemment blessés. Des conditions de pression optimales réduisent les conséquences de la paraplégie.
2016 : du nouveau sur la cicatrice gliale
Le neuroscientifique américain Michael Sofroniew montre que la cicatrice gliale est décisive dans la régénération des neurones endommagés. Sans astrocytes, qui jouent un rôle important dans la formation de la cicatrice, la recollatéralisation axonale est beaucoup plus difficile.
2018 : Régénération, respiration et première tentative
Grégoire Courtine réussit à rétablir la fonction de marche chez trois patients partiellement paralysés. Il utilise pour cela une électrostimulation développée à partir de son projet de 2012. La même année, Jerry Silver parvient à restaurer la fonction respiratoire chez des personnes atteintes de paraplégie chronique.